Sofia est entrepreneuse depuis 4 ans. C’était son rêve depuis toute petite. Faire comme son papa ; monter son entreprise et créer de l’emploi. Une fois ses études terminées, Sofia a bien essayé le salariat et a rejoint le service achat d’un grand groupe. Mais très vite et très naturellement, elle a sauté le pas. Elle a créé son entreprise e-commerce : Limbr. Sans peur ni crainte, comme une évidence. Les 3 premières années se sont bien passées. Grâce à la belle traction commerciale de sa startup (c’est comme cela qu’on juge l’appétence pour son service), Sofia a bouclé une levée de fonds en seed.
Mais, depuis trois mois la situation est plus compliquée. L'entreprise continue de prospérer, mais Sofia dort mal. Elle se réveille la nuit, avec la désagréable sensation de ne plus être alignée avec elle-même. Pire, Sofia a l'impression que quelque chose se trame dans son dos. Parfois, elle trouve que ses salariés sont moroses sans trop savoir pourquoi.
C’est lors du déjeuner dominical bimensuel chez ses parents, que Sofia aborde le sujet pour la première fois. Elle se confie à son père. Compréhensif et proche de sa fille, il fait preuve d’empathie et comprend ses inquiétudes. Sofia explique qu’elle a beau actionner divers leviers au sein de son entreprise pour que cela fonctionne, quelque chose coince. Elle partage sa vision de façon claire à ses collaborateurs, elle a construit un lieu de travail accueillant et insuffle de la souplesse dans le management. Elle a même mis en place de l’actionnariat salarié sur les conseils avisés de son fonds d’investissement ; “Pour recruter les meilleurs c’est essentiel".
Pragmatique, son père lui conseille de se faire accompagner et lui donne le contact d’un coach avec qui il a déjà eu à faire et l'avait aidé à y voir plus clair. Le rendez-vous est pris pour mardi en 8. Durant l’entretien, ils identifient certains signaux faibles :
- L’année dernière, Sofia se rappelle avoir laissé échapper à un de ses commerciaux, que grâce au gros deal qu’il venait de signer, la valo de Limbr était au moins de 100 millions d’euros.
- Juste avant Noël, Sofia a perdu pour la première fois un client. Les prévisions de croissance restent bonnes mais le résultat est un peu en dessous des espérances. Les membres du board n'ont d’ailleurs pas manqué de le lui faire remarquer.
- Et puis, le contexte actuel est un peu morose c’est vrai. Aidée par son CFO part-time et Adam son contrôleur de gestion, Sofia a été obligée de revoir le prévisionnel pour la nouvelle levée à une valo pré-monnaie de 30M€.
Le dimanche matin suivant, durant son footing, Sofia a une révélation. Tout s’éclaire. Des informations sur la levée de fonds ont dû fuiter et les collaborateurs ont l’impression qu’elle leur a menti quand elle a dit que Limbr valait 100 millions d’euros. Dans leur tête, la valeur de leurs actions a dégringolé de près de 70%. Certains doivent même se demander si le plan d'incentive de Limbr vaut encore quelque chose. Normal que ce soit la panique et que Sofia sente une défiance depuis quelques mois.
D’un coup, elle identifie d’où vient son mal-être. Sofia a l’impression de trahir les personnes avec qui elle travaille. Le chemin du retour est interminable, Sofia a besoin de passer à l’action. A peine arrivée chez elle et encore transpirante, Sofia ouvre son ordinateur :
- Action 1 : expliquer ce que signifie pour elle le plan d’actionnariat salarié : s’aligner sur la croissance pour aller plus loin, plus vite et que la part de chacun grossisse.
- Action 2 : dire où l’entreprise en est de son plan stratégique et préciser les étapes qu’il reste à franchir pour que cela fonctionne.
- Action 3 : apporter des réponses claires aux inquiétudes légitimes de chaque collaborateur.
Sofia arrive en retard chez ses parents pour le déjeuner. Elle n’attend pas l’entrée pour expliquer à son père qu’elle a enfin compris la cause de ses inquiétudes et lui présente les actions qu’elle envisage de lancer dès le lendemain matin.
Le récit de Sofia fait écho dans la tête de son père qui se souvient avoir vécu une situation quasi similaire à l’époque. Alors qu’il avait mis en place un mécanisme d’intéressement dans son entreprise, il se souvient avoir été blessé de la faible manifestation de reconnaissance de la part des ses salariés. Lui qui avait pourtant réalisé un “sacrifice” en donnant ainsi des parts de son entreprise à ses collaborateurs ! Il avait fallu attendre plusieurs réunions syndicales pour que les salariés saisissent bien tous les enjeux du plan et que la situation s’apaise.
5 mois ont passé et les actions initiées par Sofia ont porté leurs fruits. Le plan d’incentive de Limbr est devenu une pierre angulaire de la motivation des collaborateurs de la startup. Limbr est sorti de la morosité. Sofia a retrouvé le sommeil et pris du recul.
Bien que consciente de la complexité de la tuyauterie juridique lors de la mise en place d’un plan d’actionnariat salarié, elle avait sous-estimé l’importance de la communication. Aujourd’hui, elle le sait : le plus dur est de rendre activable le plan et de maintenir la confiance tout au long de son existence pour en faire un vrai atout managérial. Mais le souci c’est que pour mener à bien ce projet d’entreprise, elle est bien seule…
Que retenir de cette histoire ?
- La vie d’un entrepreneur est faite de hauts et de bas. C’est normal, mais tout le monde ne peut pas le comprendre. Les bonnes nouvelles sont toujours propices au partage d’espoirs et de désirs. Mais il est conseillé de toujours faire attention lorsque le sujet de la valorisation arrive sur la table, car les chiffres spéculés restent gravés dans les têtes de ceux à qui vous en avez parlé et les calculs menant à l’espoir de richesse se font vite.
- Pour mettre en place un plan d’actionnariat salarié qui fonctionne, il faut être convaincu que le partage est une chose essentielle à la réussite. Sofia a mis en place un plan car le partage faisait partie de ses convictions mais sans vraiment le formuler ainsi. Elle a suivi les conseils avisés du fonds mais sans en comprendre réellement les enjeux et n’a pas suffisamment communiqué dessus. Les personnes vraiment engagées sont celles qui ont compris le dispositif et son objectif. Il ne s’agit pas d’un cadeau. Ce partage profite à tous, et il vaut mieux avoir 90% d’un gros gâteau que 100% d’un spéculoos.
- Lors de la mise en place d’un plan d’incentive long terme comme l’actionnariat salarié, il y a 3 temps (i) le setup : c’est le le plus simple, il suffit de savoir choisir, (ii) le run : le plus compliqué, pour qu’il soit efficace il fait le piloter et le rendre vraiment activable et (iii) l’exit : le plus cher car c’est à ce moment que l’on paie les approximations du setup et du run et le manque d’outils. Au cours de chacune de ces étapes du plan, la transparence sur l’information et l'exactitude sur le fonctionnement du plan sont essentielles.